On savait que la 45ème édition des César allait être une foire d’empoigne plutôt qu’une fête du cinéma français. On s’étonne même de voir qu’elle ait eu lieu après les événements qui se sont produits depuis l’annonce des nommés.

Tout démarre le mercredi 29 janvier 2020, la Maîtresse de la 45e Cérémonie des César, Florence Foresti, et le Président de l’Académie des Arts et Techniques du Cinéma, Alain Terzian, annoncent les 117 nominations pour les César 2020, à l’occasion de la Conférence de Presse d’Annonce des Nominations, qui s’est tenue au Restaurant Le Fouquet’s et a été diffusée en direct sur les réseaux sociaux de l’Académie.

Et là, c’est la stupéfaction : le film « J’accuse » de Roman Polanski arrive en tête des nominations avec un total de 12. Douze, c’est le nombre de femmes qui accusent le réalisateur dont Valentine Monnier de les avoir violées. Les faits pour la photographe française se sont déroulés en 1975, si elle parle aujourd’hui, c’est parce que le dernier film de Polanski « aura marqué ma limite » déclare-t-elle dans un entretien au Parisien le 8 novembre 2019, soit 5 jours après que l’actrice Adèle Haenel ait accusé – dans un article paru sur Mediapart – le réalisateur Christophe Ruggia de lui avoir fait subir des «attouchements» et de l’avoir «harcelée sexuellement» entre l’âge de 12 et 15 ans. La libération de la parole suite à l’affaire Weinstein aura permis à de nombreuses femmes de révéler des faits odieux qui se pratiquaient en toute impunité dans le milieu du cinéma et même dans d’autres milieux comme le sport.

Le lundi 10 février 2020, le journal Le Monde publie une tribune signée par 400 personnalités dont Céline Sciamma, Marina Foïs, Agnès Jaoui, Omar Sy, Bertrand Tavernier, Michel Hazanavicius, Jacques Audiard… Elles y réclament une « réforme en profondeur » de l’Académie des César. Elles lui reprochent des « dysfonctionnements », une « opacité des comptes » et des statuts d’un autre temps qui reposent sur la cooptation et qui n’ont pas évolué avec la diversité de la France : trop mâle, trop blanche.

A la lecture de cette tribune, il semblerait que l’annonce « d’un élargissement et d’une modernisation du Conseil d’Administration de l’Académie des César, afin notamment d’établir une parité« , faite par son Président lors de la conférence du 29 janvier 2020, n’ait eu aucun effet.

Et, le 13 février 2020, la direction de l’académie des César annonce sa «démission collective».

A la lecture de ce préambule, vous conviendrez qu’il est étonnant de se dire que la 45e Cérémonie des César s’est bel et bien tenue le 28 février 2020 à 21h à la Salle Pleyel avec Florence Foresti comme Maitresse de Cérémonie et avec un nombre suffisant de remettant.e.s…

D’entrée de jeu, Foresti annonce qu’elle ne va pas assumer le « problème » toute seule. il faut parler de celui qu’elle appelle « Roro », « Popol » et « Atchoum ». « Il y a 12 moments où on va avoir un souci ce soir » déclare-t-elle. Au final, il y en aura 4 dont celui de la Meilleure réalisation qui mettra un terme aux sourires de façade. Adèle Haenel se lève, quitte la salle, et crie en coulisses « Vive la pédophilie, bravo la pédophilie« . Elle est suivie par la réalisatrice Céline Sciamma et quelques autres personnes. Florence Foresti ne remonte plus sur scène et écrit sur Instagram le mot « écœurée« . Pendant ce temps, la Présidente Sandrine Kiberlain assume seule sur scène et dans un semi chaos la clôture de cette cérémonie. Elle ouvre l’enveloppe pour remettre le prix du meilleur film. Elle porte sa main à son ventre et déclare avec soulagement le nom de « Les Misérables » de Ladj Ly.

Notons que la nomination de Ladj Ly au César avait également fait la une des journaux lorsque Valeurs actuelles et Causeurs avaient fait remonter une affaire de 2011 pour laquelle le réalisateur a été condamné à trois ans d’emprisonnement pour enlèvement et séquestration. (lire l’article du Parisien)

Depuis la soirée du 28 février 2020, Adèle Haenel s’est exprimée – à nouveau sur Mediapart – en déclarant « Ils pensent défendre la liberté d’expression, en réalité ils défendent leur monopole de la parole. » Virginie Despentes écrit sa colère dans Libération : “On a beau le savoir, on a beau vous connaître, on a beau l’avoir pris des dizaines de fois votre gros pouvoir en travers de la gueule, ça fait toujours aussi mal. Tout ce week-end à vous écouter geindre et chialer, vous plaindre de ce qu’on vous oblige à passer vos lois à coups de 49.3 et qu’on ne vous laisse pas célébrer Polanski tranquilles et que ça vous gâche la fête mais derrière vos jérémiades, ne vous en faites pas: on vous entend jouir de ce que vous êtes les vrais patrons, les gros caïds, et le message passe cinq sur cinq: cette notion de consentement, vous ne comptez pas la laisser passer”. La romancière voit de nombreuses manipulations dans la cérémonie comme le fait de demander à Claire Denis de remettre le prix de la Meilleure réalisation alors qu’elle fut au cœur d’un dysfonctionnement majeure lors du dîner des Révélations : Virginie Despentes et Claire Denis avaient été choisies par de jeunes acteurs comme marraines pour les accompagner lors de cette soirée. Elles avaient été refusées par l’Académie des Césars de façon arbitraire et sans aucune raison.

« On est humilié par procuration quand on les regarde se taire alors qu’ils savent que si « Portrait de la jeune fille en feu » ne reçoit aucun des grands prix de la fin, c’est uniquement parce qu’Adèle Haenel a parlé et qu’il s’agit de bien faire comprendre aux victimes qui pourraient avoir envie de raconter leur histoire qu’elles feraient bien de réfléchir avant de rompre la loi du silence » et enfin « l’humiliation subie par toute une partie du public qui a très bien compris le message s’étendra jusqu’au prix d’après, celui des Misérables, quand vous convoquez sur la scène les corps les plus vulnérables de la salle, ceux dont on sait qu’ils risquent leur peau au moindre contrôle de police, et que si ça manque de meufs parmi eux, on voit bien que ça ne manque pas d’intelligence et on sait qu’ils savent à quel point le lien est direct entre l’impunité du violeur célébré ce soir-là et la situation du quartier où ils vivent.« 

Dans l’autre camp, on retrouve Nicolas Bedos qui y voit une guerre des sexes, Fanny Ardant qui prend la défense de Polanski : « J’aime beaucoup, beaucoup, Roman Polanski, donc je suis très heureuse pour lui. Après, je comprends que tout le monde n’est pas d’accord, mais vive la liberté. Je suivrai quelqu’un jusqu’à la guillotine, je n’aime pas la condamnation”. CONDAMNATION, voici bien le mot qui revient après la cérémonie et certain.e.s n’hésitent pas à rappeler que la présomption d’innocente prévaut sur le tribunal appelé « César ». D’ailleurs, Florence Foresti avait déclaré en entrée de jeu qu’elle ne jouerait pas au juge d’application des peines. C’est d’ailleurs le propos du SMS du réalisateur Patrick Chesnais qui est, lui aussi, très remonté contre cette soirée : « Je suis effondré et révolté par les prestations pathétiques et nauséabondes de Foresti et Darroussin [il a écorché le nom de Roman Polanski au moment de remettre son prix, ndlr], ils se sont discrédités à jamais. Pourquoi la meute et les représentants de la bien-pensance sont-ils si énervés ? Merci Sandrine Kiberlain, merci Fanny Ardant et merci Claire Denis, vous nous donnez quelques raisons d’espérer encore ».

Dans sa tribune parue dans Le Figaro, le compositeur – journaliste – réalisateur Benjamin Sire revient sur la notion qu’occupe les philosophes depuis la plus profonde antiquité : le rapport entre l’art, sa fonction et la morale. Il déclare que « Polanski, comme d’ailleurs Woody Allen, a sans doute commis des actes condamnables qui enfreignent la loi, mais ceux-ci, à la différence par exemple de ceux reprochés à Gabriel Matzneff, ne transparaissent pas spécialement dans son œuvre. » Il voit dans l’affaire des César une nouveauté qui ne présage rien de bon et, pour étayer son propos, il revient à l’art dégénéré initié par le régime nazi ou encore au maccarthysme où une autorité morale décide de ceux.celles qui ont le droit de s’exprimer. « Cette autorité morale est aujourd’hui représentée par des groupements d’intérêts privés se réclamant du progressisme, dont les motivations visent à établir une hiérarchie identitaire entre les êtres humains. Ceux-ci se voient essentialisés en fonction de leur genre, de leur couleur, de leurs mœurs ou de leur âge« .

Enfin, je terminerais cet article par un retour aux sources. En mars 1977, Roman Polanski est arrêté à Los Angeles dans une affaire d’abus sexuel sur mineur contre Samantha Geimer (13 ans). Il plaide coupable et est condamné à une peine de 90 jours de prison. Le juge Rittenband accorde à Polanski un sursis afin qu’il puisse terminer la préparation du film Hurricane. Polanski se rend à Munich et à Bora-Bora pour effectuer des repérages. Le réalisateur retourne ensuite aux Etats-Unis pour purger sa peine d’emprisonnement. Après avoir passé quarante-deux jours en prison, Polanski est libéré pour conduite exemplaire le 29 janvier1978 mais, suite  aux critiques du public, le juge Rittenband change d’avis et prévoit une condamnation à « durée indéterminée » mais déclare au producteur Dino De Laurentiis (qui finance le remake Hurricane) que le réalisateur sera libéré après 48 jours s’il accepte de quitter définitivement les États-Unis. Mais rien n’assure que le juge le libèrera après 48 jours, Il pourrait très bien prolonger la peine jusqu’à cinquante ans s’il le désire… Du coup, Roman Polanski fuit les Etats-Unis et s’installe en France. Roman Polanski ne remettra plus jamais les pieds aux USA. Le 13 janvier2009, Samantha Geimer dépose une requête devant la justice de Los Angeles pour que les poursuites contre Polanski soient abandonnées mais celle-ci refuse.

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